lundi 7 avril 2008

La paix en (f)lambeaux

"Ceux qui s'en prennent à la flamme olympique, s'en prennent à la paix". Bigre ! De qui peuvent être ces fortes paroles aux accents aussi virils que les fesses d'un rugbyman sur un calendrier racoleur ? Je vous le donne en mille, de notre Laporte national, jamais en retard d'un bon (gros) mot depuis qu'il est privé de troisième match.
A la lumière de l'éclairage de notre Nanard, on comprend mieux le dispositif impressionnant qui a accompagné la flamme olympique hier à Londres et surtout, aujourd'hui à Paris. Bon sang, il fallait protéger la paix.
C'est qu'elle est fragile, la paix. Une simple brise l'emporte, la paix. C'est qu'elle était en danger, la paix, menacée par des hordes d'ennemis armés de banderoles et même d'extincteurs. N'eut été l'absence de barbes hirsutes, on aurait aisément reconnu les fameux "terroristes". Généralement, c'est eux les ennemis de la paix. On nous l'avait bien expliqué.

Des ennemis de la paix donc, mais attention, "un petit nombre de personnes" comme le dit la télévision chinoise. Il s'agirait de "séparatistes tibétains". Ah, nouveaux au bataillon, ceux-là. On avait déjà en stock "séparatistes kurdes", on connaissait bien, c'est du balisé, tout un folklore de couleurs et mots incompréhensibles, mais cela faisait exotique. On se souvient même vaguement de "séparatistes tamouls" entendu entre deux pressions du pouce sur la zappette. Mais bon, c'est vieux, c'est loin, c'est quelque part dans les recoins sombres d'une mémoire qui préfère, on la comprend, la lumière. Celle de la flamme, tiens ! C'est d'ailleurs le fait du jour, comme on dit en bon journalisme formaté.

Donc, la paix est menacée. On se surprend alors à dire : mais que fait la police ? Eh bien, justement, elle était là, la police. Notre bonne petite police avec sa longue expérience de protectrice attitrée de la paix. Elle était là et en nombre. 300 agents, pas moins. Autant que pour un homme d'État. Il le fallait, la paix était menacée, on vous disait. Un peu "disproportionné", ose dire Jean-Louis Bianco, député PS et vice-président du groupe d'études sur le Tibet. Hou, le gauchiste. Hou le défaitiste. Hou le copain aux ennemis à la paix qu'est fragile et qu'est toute tremblotante et qu'est toute gentillette et qu'est portée par des gars de chez nous comme il faut et d'ailleurs, tiens, la preuve c'est qu'il y avait Pauletta le footballeur du PSG de Paris, la capitale de chez nous... Euh, non attendez, y a erreur là, lui, il est pas Portugais? naturalisé alors... la naturalisation est un phénomène rapide en sport, c'est connu.
D'ailleurs le Pauletta, même qu'il l'a dit à Libération qu'il est "sensible aux droits de l'homme", mais bon la flamme de la paix qu'est fragile et tout et tout, c'est pas "un truc politique". C'est vrai qu'au Tibet, c'est "difficile
qu'il a dit, mais moi, ce que je vais faire, c'est porter la flamme olympique, et ça c'est le sport".

Bon alors, reprenons : le sport c'est la flamme, la flamme c'est la paix qu'est fragile et tout et tout. Donc, le sport c'est la paix qu'est fragile et tout et tout. CQFD.
Quand ce n'est pas Pauletta, c'est Rogge, le président du comité international olympique, le CIO quoi, le machin qui fait les flammes de la paix tous les quatre ans, et lui, il est clair : la violence n'est pas compatible avec les valeurs de la flamme. Ou encore Gerets, l'entraîneur de l'OM qui, attention, il le soutient lui aussi le Tibet et veut y aller depuis vingt ans, mais bon, "les sportifs ne doivent pas s'immiscer dans les problèmes politiques".

Parce que bon, la politique, c'est les premières pages, hein, c'est clair, bon, sauf à l'Equipe, mais là, c'est pas un bon exemple l'Equipe, c'est autre chose, c'est un journal qu'est entièrement pour la paix, la flamme quoi. Mais les autres, on l'a bien vu, ça saute aux yeux, y a les pages "po-li-ti-que", c'est écrit en toutes lettres, vous pouvez pas rater ça. Et puis les pages "sport".
Pour vous repérer, cherchez "éco-no-mie" entre les deux. Ne cherchez pas à savoir ce que c'est. Sans doute aussi un truc qu'a rien à voir avec la politique, l'économie. Un truc de la paix quoi ! L'ai pas vue la flamme de l'économie, mais il paraît que là, pas de souci, elle flambe bien.


A lire
Georges Perec,
W ou le souvenir d'enfance, Gallimard, 1993, coll. L'Imaginaire

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