samedi 31 janvier 2015

L'histoire révélée des attentats contre Charlie Hebdo

Il était une fois un journal sans pub mais avec beaucoup de dessins impertinents et d’articles irrévérencieux.

Non, il faut changer ce début. Plutôt : 

Il était une fois un journal sans pub et donc avec beaucoup de dessins impertinents et d’articles irrévérencieux.

Encore mieux : 

Il était une fois un journal avec beaucoup de dessins impertinents et d’articles irrévérencieux car c’était un journal sans pub.

Ok, on va garder celui-ci. 

Il était (donc) une fois un journal avec beaucoup de dessins impertinents et d’articles irrévérencieux car c’était un journal sans pub. Ce journal, comme tant d’autres avant lui, était en train de mourir de sa petite mort dans une indifférence générale. Indifférence qui contrastait avec les envolées lyriques pas encore unanimes, mais presque, quelques années auparavant, lors de l’affaire des caricatures de Mahomet et surtout plus tard, après l’incendie des locaux. Malgré un appel aux dons, le journal semblait incapable de se pérenniser. Bref, un petit journal sans pub qui se trouvait désormais dans le petit coin gauche du double-page central de notre conte. Tout en bas, presque déjà sortant du cadre.

Ne voulant pas les voir disparaître, Dieu dans son immense miséricorde ne pouvait pas non plus intervenir sans risquer de froisser son voisin de palier, Allah, furieux de voir caricaturé son postier envoyé il y a une quinzaine de siècles et qu’il aimait par-dessus tout car le meilleur dans l’apprentissage par cœur. (Oui, la realpolitik existe aussi là-haut.) Dieu avait donc les mains liées (c’est une expression. Déjà Dieu ne peut avoir de mains. Encore moins menottées comme un vulgaire Rachid).

Dieu lui-même avait eu maille à partir avec ce petit journal-sans-pub-et-donc-avec-des-dessins-impertinents-et-des-articles-irrévérencieux. Il avait tempêté, menacé, grondé, envoyé quelques sbires, re-menacé, re-tempêté, même porté plainte devant les instances civiles qu’il abhorrait depuis qu’elles l’avaient remplacé, etc. Sans succès. Alors, sur le conseil d’un responsable-de-com croisé dans les vestiaires des Enfers, il avait pris le parti de les ignorer. Consigne fut donc passée de faire comme si de rien n’était. Regarder ailleurs et siffloter. Voire, à l’occasion, soutenir le journal au nom de cette ineptie sans nom, la liberté d’expression.

Bien lui en a pris. Ignorés puis ayant découvert Allah, les p’tits garnements lui foutaient la paix. A peine si de temps en temps ils s’en prenaient à quelque pape ou cardinal. Mais là, Dieu comme Monsieur Ponce, s’en était lavé les mains (qu’il n’a pas, n’oublions pas !). Il n’allait quand même pas soutenir quelques transsexuels en robe avec des tiares sur la tête. En plus, ces cons-là se tapaient des gosses sans capote au lieu de se contenter des gaillards de la Garde suisse.

Bref, Dieu avait la paix. Il commençait même à les aimer, ces p’tits garnements. A leur manière, ils lui rappelaient ce grand fou idéaliste de Jésus, un autre naïf qui ne voulait pas de pub dans les temples. Quelle idée ! Et puis, ils lui donnaient quelques moments de répit à chaque fois qu’ils clouaient le bec à cette folle qui le harcelait. Comment elle s’appelle déjà ? Ah oui, la Poutin… Quoi ? Que me souffles-tu dans l’oreille petit Charb ? Ah, oui, c’est vrai, Boutin. Poutine, c’est l’autre scatophile qui aime bien inspecter les chiottes. Heureusement que ce n’est plus de mon ressort, les dox. Quoi ? Que dis-tu petit Honoré ? Si quand même un peu ? Ah non, chacun sa merde. Moi, c’est Rome. Hé hé, hé… Les schismes, ça a du bon.

Dieu se triturait donc la tête et les méninges (ou ce qui en tenait lieu) jusqu’à ce qu’il croise de nouveau dans les vestiaires des Enfers, entre deux grillades, le fameux responsable-de-com. Il lui demande alors conseil. « Écoute gros, là, c’est ma pause, reviens me voir dans une heure » fit le responsable-de-com en remettant sa Rolex et en réajustant son catogan. Ce que fit Dieu.

Et le roué responsable-de-com lui souffla une idée digne de ce p’tit diable de Lulu lui-même (Lucifer pour les moins intimes) :

- Tu leur balances dans la gueule quelques sbires de ton voisin Allah machin truc, t’en sacrifies quelques uns, tu fais dans le spectaculaire, hein ! Pas du travail à la petite semaine. Et puis tu verras tous les veaux dans la rue et l’argent qui coule à flot.

- C’est innommable !

- Mais efficace !

- Ah, mais mon voisin après ça, c’est le gros melon assuré, il n’en passera plus les portes. Et je devrai me le taper dans la cage d’escalier.

- Ah oui, les bruits et les odeurs, je comprends.

- Quoi ?

- Laisse, juste un souvenir de boulot. Ouais, bon, je ne sais pas, moi. Tiens envoie un autre sbire tuer du juif, ça c’est bon, ça marche toujours. Du coup, tes deux voisins vont passer leur temps à se cogner dessus et toi, tu comptes les points.

- Génial !

- Et ma remise de peine ?

- Oui, tu l’auras. Dieu n’a qu’une parole. Enfin, tant qu’elle reste au ciel… Mais dis voir justement, t’aurais pas un truc pour me débarrasser de cette bande de vieux cons avec leurs entonnoirs sur la tête.

- Holà, c’est Mission impossible... Je ne sais pas moi, essaie la théorie du genre.

- Pas con.

Il fut fait comme il fut dit.
Et depuis, quelques angelots supplémentaires passent leur temps à tagger la cage d’escalier de l’immeuble divin. Mais comme les voisins sont occupés, personne ne s’en plaint.

Les sbires liquidés, le journal renfloué et l’union sacrée. Tout est bien qui finit bien, non ?

dimanche 12 octobre 2008

"Be Happy" de Mike Leigh : La tyrannie de la bonne humeur

Au commencement, il y avait le rire. Puis vint le reste. Au commencement, il y avait les Rigolus. Puis vinrent les Tristus (1). Au commencement, la pomme d'Adam d'Adam tressautait sans cesse tant Adam riait. Puis vint le pêché de la chair triste.
Sans remonter aux origines, le Be happy (2) de Mike Leigh se fonde sur un a priori que plus personne ne discute ; plus qu'un a priori, une évidence, une "loi naturelle" : rire, c’est quand même plus rigolo que ne pas rire. Ou pour parler le même langage qu’empruntent les évidences : pas rire, c’est pas cool. C’est caca, quoi !

Fort de cette évidence, le film avance au même rythme que son héroïne. La focalisation sur Poppy à l’exclusion des autres personnages tient lieu d’argument essentiel à une intrigue au demeurant minimale. Le point de vue de la pétillante Poppy finit par donner au film son message essentiel : du moment qu’on ne voit que Poppy, c’est que Poppy a raison. Et vice versa. Collée aux basques de cette insouciante, la caméra de Mike Leigh nous montre tous ses hauts et ses quelques (rares) bas. Poppy monte un joli vélo que tout ado "alternatif " rêverait d’avoir. Poppy conduit en zigzagant, l’air de bonne humeur (forcément). Poppy découvre un marché aux puces (forcément bis). Poppy entre dans une librairie et nous fait rire aux dépens du Tristus barbu qui fait office de libraire. Poppy se fait voler son vélo mais "garde la banane". Poppy fait la bringue avec ses copines. Poppy reste un véritable boute-en-train après une nuit de bringue. Bon sautons quelques épisodes ! Poppy rencontre Scott, le moniteur d’auto-école. Très vite, Poppy, tels Socrate, Freud et Bourdieu réunis, comprend tout : Scott est forcément fils unique, enfant battu, etc. Impressionnante Poppy !

Mais ce n’est pas fini. Poppy s’aventure seule dans la "zone". C’est vachement craignos, on le voit, et si on ne l’avait pas vu, la musique est là pour nous le signaler. Elle en a, la Poppy, pour oser pénétrer dans ce décor digne d’un film d’horreur. Elle remonte à la source d’une voix étrange, bravant la nuit, la zone craignos qu’on voit bien qu’elle est craignos et que la musique nous aide sinon à voir, qu’elle est craignos, la zone. Poppy rencontre un homme étrange. Et miracle, Poppy le comprend. Non, comprendre, c’est pas bon ça ! Poppy le sent. Au point de communiquer avec lui. Au point de nous faire sentir qu’on est nul, qu’on ne sent pas, qu’on était insensible. Et on se dit merde, la prochaine fois qu’on tombe sur un clodo en plein délire, on se jette sur lui et on va le sentir, ah oui, qu’on va le sentir, on va lui en donner du "sentir" jusqu’à ce qu’il en bave, le clodo. On se calme !
Ramenés à notre triste, forcément triste, condition de spectateurs non-poppiens, nous voici prêts à tout pour être des Rigolus, pour être cools, pour être Poppy. Le film continuera à enfiler tous les clichés possibles. Mais déjà assommés, vaincus, convertis, nous ne sommes plus que yeux et ouïes acquis à Sainte-Poppy.


Poppy est tolérante, anti-raciste, drôle, attentionnée, a de jolies jambes que les copines envient, baise bien, a bien bourlingué, s’est penché sur la pauvreté du monde, est capable, entre deux rires de pitié mélancolique, reste gentille avec sa sœur coincée, garde la banane malgré un lumbago douloureux, a un mot pour chacun, comprend tout, voit tout, sait tout, n’en jetez plus ! On sort de la salle de cinéma en se demandant si la vie vaut désormais la peine d’être vécue si on n’est pas poppien, si on n’est pas Poppy. On en sort également en se demandant si ce fut bien un film de Mike Leigh, le Mike Leigh dont on avait vu, revu et aimé les Naked, Deux filles d’aujourd’hui. Même Secrets et mensonges, pourtant de facture plus classique, même Vera Drake, pourtant focalisé sur le personnage éponyme, même Topsy Turvey, pourtant soumis aux contraintes de la reconstitution d’époque avaient su nous proposer une galerie de personnages complexes, loin de la caricature de ce Be Happy. Qu’est ce qui lui a pris à notre Mike pour charger ainsi la barque ?

Le choix d’adopter systématiquement le point de vue de son héroïne et de ne la quitter quasiment jamais n’est pas contestable en soi (3). Mais Poppy vampirise le film jusqu’à en faire un chant à sa seule gloire et celle de son insouciance. Si le propos était de faire d’elle une sorte de Mychkine-Rigolus dont la présence perturbe, dérange et change les autres, on est loin de l’Idiot. Et si le verbe s'est fait chair grâce au Terence Stamp de Théorème, ici, il subsiste verbe. Souvent drôle certes, il frise souvent le verbiage autiste. Au générique final, on se surprend même à se demander si tout cela n’était pas une farce, si ce bon vieux Mike Leigh n’avais pas exprès grossi le trait pour tourner en dérision le caractère résolument béat, envahissant et tyrannique de son héroïne. Car tyrannique, Poppy l’est assurément, de la tyrannie de ceux qui sont sûrs de leur bon droit. La tyrannie de ceux dont la caméra épouse le point de vue et leur assure ainsi le dernier mot. Si ce n’est tous les mots.

Une seule fois cependant il fut possible à l’une des victimes de la bonne humeur poppienne de se justifier. Ce fut Scott et son coup d’éclat violent vers la fin du film. On se demande alors si Mike Leigh a entendu son Scott. Et il aurait dû, s’il voulait percevoir dans sa colère le premier reproche que l’on peut adresser à Poppy : de quel droit impose-t-elle aux autres sa bonne humeur ? Il n’avait rien demandé le libraire. Qui de nous n’apprécierait pas de trouver un jeune libraire original, visiblement féru de livres, discret, laissant les clients regarder à leur guise ? Sûrement pas Poppy qui le taquine, le nargue, l’embête. Il a beau l’ignorer, peine perdue ! Mike Leigh met les rieurs du côté de son héroïne. Brusquement, le libraire apparaît ridicule, ennuyeux, sans humour, donc, un Tristus.
Tristus également le patient qu’aborde la copine-clone-raté de Poppy dans la salle d’attente du kiné. Tristus aussi la collègue stressée, probablement trop sérieuse, qui cherche son salut dans des cours de tango. Tristus encore la sœur dont le portrait est brossé à grands coups de rouleau de peinture, sans nuance aucune. Tristus son mari qu’elle empêche de pratiquer sa passion, les jeux vidéo. Tristus enfin et surtout Scott dont le portrait, lui, est brossé, non, bâti, coulé à grand coups de bétonnière. De la fine ouvrage.


Que dit en substance Scott ? Qu’il était content dans son monde, qu’il avait trouvé un équilibre, le sien, qu’il aime son travail, qu’il est un bon moniteur. Est-il illégitime de clamer son droit de garder cet équilibre ? Admettons que non, du moins dans le cas de Scott, tant il est vrai qu’il réunit tous les défauts : aigri, raciste, malheureux, homophobe, à l’ésotérisme délirant, limite pervers, bref un inadapté social, un cas maladif, un beau en plus, du pain bénit pour tout apprenti psychanalyste. Mais en disant non au désir de Scott de demeurer dans sa bulle, que lui propose-t-on ? De rire, de s’habiller bariolé, de sortir le soir, de faire la bringue, d’être Poppy. Simpliste nous dirait-on. Admettons encore. Proposons lui alors, message subliminal du film, de vivre sa passion. Mais alors, pas la lecture, sinon, cela en ferait un libraire barbu avec béret. Tristus horribilis ! Ni le jardinage comme la sœur. Tristus ringardus ! Le tango peut-être ? Pas trop non plus ou alors sans se soumettre aux règles d’apprentissage, en n’en faisant qu’à sa tête. En revanche, Scott pourrait regarder le foot avec ses copains ou y jouer. Comme le petit-ami de Poppy. Il pourrait également s’adonner aux jeux vidéo, mais attention les jeux vidéo pour les enfants, nous disent Poppy et ses copines, c’est pas cool. Bon, ce n’est pas gagné.

D’autant moins que l’on risque de sortir Scott d’une bulle pour le plonger dans une autre. Et c’est là ce que sous-entendent les reproches de ce dernier. Volontiers christique, Poppy veut "libérer" les gens de leurs bulles, mais qu’en est il de la sienne ? Qu’en est-il de sa cécité ? Avant de rencontrer Scott, voyait elle tous les problèmes que le discours de ce dernier, certes haineux, pointe ? Avant d’être confrontée à la violence de cet enfant dans sa classe, avait elle réfléchi sur les réalités familiales et sociales que cette violence trahit ? Perturbatrice et dérangeante, Poppy l’aurait été bien plus si le film n’avait pas chargé la barque du pauvre Scott et enchaîné les stéréotypes.

Ah, mais on allait oublier : Poppy a bourlingué partout. Poppy était le nez dans la misère du monde. Elle a voyagé, elle a vu, elle sait. On l’a vu, elle ne verrouille pas la portière de la voiture, elle, comme le lui conseille Scott. Elle va au devant des clochards la nuit dans la zone-qu’elle-est-craignos-et-qu’elle-est-sombre. Elle leur parle. Ils l’entendent. Elle parle aussi aux petits écoliers. Qui l’entendent. Elle parle aussi avec la collègue stressée. Elle la comprend. Sainte-Poppy ne transforme pas tout ce qu’elle touche. Mais le cœur y est. Un petit moment de mélancolie télégénique sur un escalier et hop, c’est reparti. D’autres Scott attendent. D’autres Tristus attendent. Super Poppy Rigolus est toujours sur la brèche.


(1) Ceux qui ont connu le Pif gadget des débuts, se souviennent sûrement des fameux Rigolus et Tristus.

(2) Les distributeurs français ont préféré l'injonction "Be happy" au titre original "Happy-Go-Lucky", un adjectif anglais que traduit le français "insouciant".

(3) La même semaine, nous avons eu l'occasion de voir et apprécier le dernier opus des Frères Dardenne. Et bien qu'on ne la quitte jamais, la Lorna des cinéastes belges offre une personnalité autrement plus complexe, contrastée et, surtout, laisse les autres personnages exister, jusqu'aux plus secondaires.


mercredi 30 avril 2008

Coup de fil tragique d'Elkabbach. Un mort

Il est des jours où l’on voudrait tant se réincarner en baby phone, comme celui qui espionnait le patron de Porsche dans un hôtel de Wolfsburg. Par exemple pour assister à l’audition de Jean-Pierre El Kabbach, auteur d’une belle bavure mortelle sur la personne de Pascal Sevran, par les sages du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) le 6 mai prochain.

On imagine déjà le courroux des membres du collège du CSA, leur indignation (qui attendra soit dit en passant le 6 mai prochain. C’est qu’ils sont occupés, surbookés au CSA… Ça en fait des médias à surveiller, des fautifs à épingler, des fréquences à redistribuer).
On salive déjà à la vue des gros yeux de Michel
(1) « voyons, Jean-Pierre… il t’a fait quoi le pauvre Pascal ? ». Agnès (2) lançant « c’est pas juste ». Rachid (3) s’impatientant « allez, je n’ai pas que ça à faire, j’ai rendez-vous avec la France, moi ».

On risque cependant d’être déçu. Tous ces gens sont trop bien élevés pour en arriver à de telles… extrémités. Et puis, on se connaît, hein, on est entre nous. Bon, y a bien Rachid, l’Arabe de service, la minorité visible à lui seul, l’accident de parcours, mais les autres, bon, les autres, hein, c’est pas non plus les rageux d’Acrimed ni les dangereux révolutionnaires vulgaires du Plan B. Ni même d’ailleurs l’équipe gnan gnan de feu Le Premier Pouvoir. Non, des gens bien élevés, on vous dit.
On papotera entre copains. On se connaît, hein J.P. ? Alors, tu t’es encore payé la tête du petit Pascal, sacré Jean-Pierre… y en aura peut-être même qui lui lancera à son entrée « taisez-vous El Kabbach !
(4)» Et tout ce petit monde pouffera. C’est mignon. Mais bon, Jean-Pierre, il va falloir quand même qu’on te mette au piquet. Et Jean-Pierre qui regardera Agnès « au piquet ? C’est pas juste ». Et on pouffera. Ça se passe comme ça dans le monde merveilleux des médias en France.

Et pourtant, se dit-on, il y a bien eu faute. Et pas des moindres. Oui, mais bon, on va pas en chier un tank. D’ailleurs, c’est que Sevran, hein… Alors, bon… D’ailleurs, regardez la rédaction, elle dit rien, ou presque rien. Bon, elle a bien montré du doigt le Jean-Pierre en disant « c’est lui, c’est pas nous », mais c’est que du mouchardage entre gosses qui s’aiment. Parce que, il faut toujours le rappeler, ils s’aiment sur Europe 1. La société des rédacteurs, elle doit l’adorer le JP pour avaler couleuvres sur couleuvres sans réagir. JP qui consulte sarkozy et le clame avant de choisir le journaliste politique d’Europe 1, JP qui module la durée de ses interviews et ses questions en fonction de ses accointances avec les interviewés, etc. Mais bon, c’est notre JP. Il nous obtient des news. Bon, là, il a merdé, lui, hein, on vous dit, pas nous. Mais on va pas en faire des tonnes. On n’est pas les ringards de France 2, nous
(5).

Et pourtant, dirait un naïf observateur des médias, que manque-t-il à la rédaction d’Europe 1 pour dire "stop, basta, là on arrête les frais" et d’exiger le départ d’El Kabbach ? Que faut-il de plus à ces "grands" journalistes parmi les mieux lotis de France pour qu’ils appliquent les belles théories et les grands idéaux que que le Jean-Pierre lui-même professe ? Annoncer une grève si El kabbach ne fout pas le camp, est-ce utopique ? Est-ce excessif comme ne manqueront pas de répliquer certains ? Est-ce si banal finalement cette bourde qu’on ne réagit même plus ? Tout le monde, toutes les statistiques (des chiffres de vente aux sondages) le montrent : le désamour entre la presse dans toutes ses composantes et les Français est on ne peut plus profond et semble même définitif. Lecteurs, auditeurs et spectateurs recherchent plus que jamais une info vraie, vérifiée et surtout une attitude irréprochable des journalistes. Une réaction radicale et rigoureuse de la rédaction d’Europe 1 serait un signe clair autant pour les auditeurs de la station et tous ceux qui suivraient cette info que pour tous les "décideurs" qui entendent régenter l’information dans "leurs" médias.

Holà, stop, on arrête tout, coupez !... Où est-ce qu’il va chercher tout ça ? Ah oui, on oubliait, Europe 1, c’est déjà la radio des "décideurs", alors, bon… En tout cas, à l’époque où je l’écoutais encore, elle l’était... Il y avait même une chronique qui s’intitulait ainsi... Le monde du journalisme, surtout dans sa composante parisienne est devenu (pourquoi "devenu" au fait ? A-t-il jamais été autre chose ?) un monde incestueux où les cooptations, la connivence, les renvois d’ascenseur, les craintes et les peurs sont devenus monnaie courante. Une monnaie de singes... savants ! Parions qu’une telle affaire à la BBC vaudrait au Kabbach local d’être poussé à la démission dans les 24 heures...

Mais au fait la BBC, n’est ce pas ce médium que notre France 24 va concurrencer et détrôner grâce à son Pouzilhac du pauvre et sa reine Christine-416 euros-la-minute-de-verbiage
(6) ? Voilà un placard, pardon, une promotion idéale pour El Kabbach : nouvelle voix de la France ! Allez les journaleux d’Europe 1, un petit effort, virez... non pardon, rendez-nous El Kabbach ! C’est pour l’intérêt supérieur de la France...


(1) Michel Boyon, président du CSA, ancien président de Radio France (1995 - 1998), ancien directeur de cabinet de Jean-Pierre Raffarin à Matignon de 2003 à 2005, un des concepteurs de la loi Léotard (1986) qui ouvrira la voie à la privatisation de TF1.

(2) Agnès Vincent-Derauy, conseillère au CSA, ancienne journaliste et productrice sur Antenne 2 puis France 2 et France 3. A produit pour cette dernière chaîne l'émission pour enfants C'est pas juste.

(3) Rachid Arhab, conseiller au CSA, ancien journaliste de France 3 où il a présenté le journal de 1998 à 2000, ce qui lui valut un Sept d'or. Il a conçu et présenté dès l'année 2000 sur France J'ai rendez-vous avec vous, émission qui fait le tour de la France pour interroger les gens sur l'actualité.

(4) Pendant la campagne présidentielle de 1981, lors d'un débat politique animé par Elkabbach, Georges Marchais, alors secrétaire national du Parti communiste français, lui aurait lancé "taisez-vous Elkabbach!".

(5) En février 2004, après que David Pujadas eut annoncé qu’Alain Juppé quittait la vie politique alors que l’intéressé dans le même temps disait le contraire sur TF1, plus de 67 % des journalistes de la chaîne avaient répondu "non" à la question "faites-vous confiance à Olivier Mazerolle, directeur de l’information de France 2 ?". Ils ont été près de 70 % à répondre encore par la négative à la question "Accordez-vous toujours votre confiance à l’équipe du 20 heures ?". Cette motion de défiance avait entraîné la démission d’Olivier Mazerolle et la suspension de David Pujadas.

(6) Révélation du Canard Enchaîné du 23/01/2008.


lundi 7 avril 2008

La paix en (f)lambeaux

"Ceux qui s'en prennent à la flamme olympique, s'en prennent à la paix". Bigre ! De qui peuvent être ces fortes paroles aux accents aussi virils que les fesses d'un rugbyman sur un calendrier racoleur ? Je vous le donne en mille, de notre Laporte national, jamais en retard d'un bon (gros) mot depuis qu'il est privé de troisième match.
A la lumière de l'éclairage de notre Nanard, on comprend mieux le dispositif impressionnant qui a accompagné la flamme olympique hier à Londres et surtout, aujourd'hui à Paris. Bon sang, il fallait protéger la paix.
C'est qu'elle est fragile, la paix. Une simple brise l'emporte, la paix. C'est qu'elle était en danger, la paix, menacée par des hordes d'ennemis armés de banderoles et même d'extincteurs. N'eut été l'absence de barbes hirsutes, on aurait aisément reconnu les fameux "terroristes". Généralement, c'est eux les ennemis de la paix. On nous l'avait bien expliqué.

Des ennemis de la paix donc, mais attention, "un petit nombre de personnes" comme le dit la télévision chinoise. Il s'agirait de "séparatistes tibétains". Ah, nouveaux au bataillon, ceux-là. On avait déjà en stock "séparatistes kurdes", on connaissait bien, c'est du balisé, tout un folklore de couleurs et mots incompréhensibles, mais cela faisait exotique. On se souvient même vaguement de "séparatistes tamouls" entendu entre deux pressions du pouce sur la zappette. Mais bon, c'est vieux, c'est loin, c'est quelque part dans les recoins sombres d'une mémoire qui préfère, on la comprend, la lumière. Celle de la flamme, tiens ! C'est d'ailleurs le fait du jour, comme on dit en bon journalisme formaté.

Donc, la paix est menacée. On se surprend alors à dire : mais que fait la police ? Eh bien, justement, elle était là, la police. Notre bonne petite police avec sa longue expérience de protectrice attitrée de la paix. Elle était là et en nombre. 300 agents, pas moins. Autant que pour un homme d'État. Il le fallait, la paix était menacée, on vous disait. Un peu "disproportionné", ose dire Jean-Louis Bianco, député PS et vice-président du groupe d'études sur le Tibet. Hou, le gauchiste. Hou le défaitiste. Hou le copain aux ennemis à la paix qu'est fragile et qu'est toute tremblotante et qu'est toute gentillette et qu'est portée par des gars de chez nous comme il faut et d'ailleurs, tiens, la preuve c'est qu'il y avait Pauletta le footballeur du PSG de Paris, la capitale de chez nous... Euh, non attendez, y a erreur là, lui, il est pas Portugais? naturalisé alors... la naturalisation est un phénomène rapide en sport, c'est connu.
D'ailleurs le Pauletta, même qu'il l'a dit à Libération qu'il est "sensible aux droits de l'homme", mais bon la flamme de la paix qu'est fragile et tout et tout, c'est pas "un truc politique". C'est vrai qu'au Tibet, c'est "difficile
qu'il a dit, mais moi, ce que je vais faire, c'est porter la flamme olympique, et ça c'est le sport".

Bon alors, reprenons : le sport c'est la flamme, la flamme c'est la paix qu'est fragile et tout et tout. Donc, le sport c'est la paix qu'est fragile et tout et tout. CQFD.
Quand ce n'est pas Pauletta, c'est Rogge, le président du comité international olympique, le CIO quoi, le machin qui fait les flammes de la paix tous les quatre ans, et lui, il est clair : la violence n'est pas compatible avec les valeurs de la flamme. Ou encore Gerets, l'entraîneur de l'OM qui, attention, il le soutient lui aussi le Tibet et veut y aller depuis vingt ans, mais bon, "les sportifs ne doivent pas s'immiscer dans les problèmes politiques".

Parce que bon, la politique, c'est les premières pages, hein, c'est clair, bon, sauf à l'Equipe, mais là, c'est pas un bon exemple l'Equipe, c'est autre chose, c'est un journal qu'est entièrement pour la paix, la flamme quoi. Mais les autres, on l'a bien vu, ça saute aux yeux, y a les pages "po-li-ti-que", c'est écrit en toutes lettres, vous pouvez pas rater ça. Et puis les pages "sport".
Pour vous repérer, cherchez "éco-no-mie" entre les deux. Ne cherchez pas à savoir ce que c'est. Sans doute aussi un truc qu'a rien à voir avec la politique, l'économie. Un truc de la paix quoi ! L'ai pas vue la flamme de l'économie, mais il paraît que là, pas de souci, elle flambe bien.


A lire
Georges Perec,
W ou le souvenir d'enfance, Gallimard, 1993, coll. L'Imaginaire